CĂ©tait la tĂȘte de Langlois qui prenait, enfin, les dimensions de l'univers.Qui a dit : «Un roi sans divertissement est un homme plein de misĂšres» ? Jean Giono, nĂ© en 1895 et
Unroi sans divertissement. Collection Blanche , Gallimard. Parution : 28-01-1948. Une pensée vieille comme le monde, sur laquelle ont brodé Montaigne, Bossuet et La
6citations. « Ennui. Rien n'est si insupportable Ă l'homme que d'ĂȘtre dans un plein repos, sans passions, sans affaires, sans divertissement. ». « Sans divertissement, il n'y a point de joie; avec le divertissement, il n'y a point de tristesse. ». « Qu'on laisse un roi tout seul sans compagnie, penser Ă lui tout Ă loisir ; et l'on
Fast Money. - PubliĂ© le 03 Nov 2003 Ă 2300 Le livre du bac Au dĂ©but je nâaimais pas ce livre, je le trouvais ennuyeux, et puis en lâĂ©tudiant en classe, puisquâil est au programme pour les terminales littĂ©raires, jâai commencĂ© Ă lâaimer. On comprend et on nâaime ce livre que lorsquâon lit la derniĂšre phrase, en rĂ©fĂ©rence aux PensĂ©es de Pascal et qui donne au livre son titre un roi sans divertissement est un homme plein de misĂšres. Ce livre fait partie des chroniques il raconte une histoire de village sur plusieurs annĂ©es. Ici elle est traitĂ©e Ă la maniĂšre dâun roman policier avec une intrigue des meurtres dans un village sans nom, en plein hiver, et câest un nommĂ© Langlois qui trouve lâassassin. Cependant, on connaĂźt lâassassin Ă la page 86 et le livre fait environ 250 pages⊠Reste plus de 150 pages oĂč lâon connaĂźt la vĂ©ritĂ© mais oĂč on continue de suivre Langlois. Pourquoi ? Parce que lâassassin est connu mais pas son motif, et câest celui ci que lâon dĂ©couvre via Langlois lâennui. Câest le thĂšme du livre, lâhomme qui sâennuie et cherche Ă se divertir, et pour cela, Giono utilise une autre opposition, qui pourrait ĂȘtre la quĂȘte de lâĂ©crivain la beautĂ©. Sans cesse, il oppose beautĂ© et monstruositĂ©, utilisant un arbre aux cadavres, des cĂ©rĂ©monies, du sang vermeil sur la neige. Et il nâa de cesse de jongler sur les narrateurs, sautant dâun personnage Ă lâautre. Ainsi, on comprend parfaitement comment un homme en arrive Ă la cruautĂ© et comment Langlois en arrive Ă [biiip, je dis pas la fin, câest original comme idĂ©e, alors, je ne vous gĂąche pas tout] car il arrive Ă celui ci ce quâil condamnait chez les autres⊠Map pam !
Il peut apparaĂźtre prĂ©somptueux dâadapter un roman, aussi dense quâUn Roi sans divertissement, en seulement 84 pages, fussent-elles illustrĂ©es. Pourtant, aprĂšs lâadaptation de Nez de cuir de La Varende et la biographie de CĂ©line Le Chien de Dieu, Jacques Terpant et Jean Dufaux peuvent se prĂ©valoir dâune troisiĂšme rĂ©ussite. Copyright 2021 Futuropolis Le pacifiste et panthĂ©iste Jean Giono sâest vu reprocher Ă la LibĂ©ration, injustement, une trop grande proximitĂ© intellectuelle avec Vichy. Sâil reprend la plume, elle sera dĂ©sormais distante et ironique. Le roman sâouvre sur la description lyrique dâun hĂȘtre, personnage central du roman Il y a lĂ un hĂȘtre ; je suis bien persuadĂ© quâil nâen existe pas de plus beau câest lâApollon-citharĂšde des hĂȘtres. Il nâest pas possible quâil y ait, dans un autre hĂȘtre, oĂč quâil soit, une peau plus lisse, de couleur plus belle, une carrure plus exacte, des proportions plus justes, plus de noblesse, de grĂące et dâĂ©ternelle jeunesse âŠ. Le plus extraordinaire est quâil puisse ĂȘtre si beau et rester si simple. Il est hors de doute quâil se connaĂźt et quâil se juge. » Le travail en couleurs directes de Jacques Terpant sur le fameux hĂȘtre, la montagne isĂ©roise, les jeux de lumiĂšre sur la neige ou les tĂąches de sang est magnifique. Le trait rĂ©aliste et les couleurs froides parviennent Ă illustrer, puis Ă remplacer, les longues et riches descriptions chĂšres Ă Giono. Les femmes sont belles, mais, fidĂšle au roman, le visage de Langlois exprime peu de chose, sinon lâamitiĂ© et le sens du devoir. Le capitaine de gendarmerie enquĂȘte sur des disparitions hivernales dans le TriĂšves. Il identifie le meurtrier et le tue. AprĂšs avoir dĂ©missionnĂ©, il sâinstalle au village. RespectĂ© de tous, il conserve ses distances. Ă lâissue dâune battue, il tue un loup. Il se fait Ă©riger un chalet, se marie, puis se tue. Le livre se clĂŽt sur cette Ă©nigmatique sentence Seulement, ce soir-lĂ , il ne fumait pas un cigare il fumait une cartouche de dynamite. Ce que Delphine et Saucisse regardĂšrent comme dâhabitude, la petite braise, le petit fanal de voiture, câĂ©tait le grĂ©sillement de la mĂšche. Et il y eut, au fond du jardin, lâĂ©norme Ă©claboussement dâor qui Ă©claira la nuit pendant une seconde. CâĂ©tait la tĂȘte de Langlois qui prenait, enfin, les dimensions de lâunivers. Qui a dit Un roi sans divertissement est un homme plein de misĂšres » ? » Ă lâimage de ses amis, le lecteur nâa rien vu venir. Que penser dâune amitiĂ© incapable de prĂ©venir, voire mĂȘme de pressentir, un suicide ? Insondable mystĂšre que celui dâun homme supposĂ© proche. A-t-il Ă©tĂ© fascinĂ© par le tueur quâil traquait ? Par le magnĂ©tisme de la cruautĂ© ? Les diffĂ©rents narrateurs tentent de percer le mystĂšre. Fort habilement, Jean Dufaux ne sâattache pas au schĂ©ma narratif initial, mais rĂ©unit les chroniqueurs en un seul personnage, Giono en personne, qui, aprĂšs avoir Ă©coutĂ© les amis du capitaine, sâinterroge. Chez le moraliste Blaise Pascal, le divertissement est ce qui, en lâabsence dâunion Ă Dieu, rend la vie supportable. Pour oublier notre triste condition mortelle, nous jouons Ă la balle, au risque nous se perdre. La mĂȘme proposition chez le paĂŻen Giono prend une forme dĂ©sespĂ©rĂ©e. Pour se protĂ©ger de la perversitĂ© du mal, la sociĂ©tĂ© a fait de lâassassin et de son bourreau des monstres asociaux. Pourtant, Langlois Ă©tait un homme comme les autres » qui, plus que les autres », sâennuyait⊠StĂ©phane de Boysson Un Roi sans divertissement Dessin Jacques Terpant ScĂ©nario Jean Dufaux, dâaprĂšs lâĆuvre de Jean Giono Ăditeur Futuropolis 64 pages â 17 ⏠Parution 18 aoĂ»t 2021 Un Roi sans divertissement â Extrait Copyright 2021 Futuropolis
Jean Giono Un Roi sans divertissement 1947 SOMMAIRE Qu'on laisse un roi tout seul sans aucune satisfaction des sens, sans aucun soin de l'esprit, sans compagnies et sans divertissements, penser Ă lui tout Ă loisir, et l'on verra qu'un roi sans divertissement est un homme plein de misĂšres. [...] Et c'est pourquoi, aprĂšs leur avoir prĂ©parĂ© tant d'affaires, s'ils ont quelque temps de relĂąche, on leur conseille de l'employer Ă se divertir, et jouer, et s'occuper toujours tout entiers.» Pascal, PensĂ©es, 137, 139. I - GenĂšse de l'Ćuvre - Le genre de la chronique. Un Roi sans divertissement est contemporain d'une phase sombre dans la vie de Jean Giono. IncarcĂ©rĂ© en 1939 au moment de la mobilisation parce qu'il avait signĂ© des publications pacifistes, l'Ă©crivain a Ă©tĂ© arrĂȘtĂ© fin aoĂ»t 1944, quelques jours aprĂšs le dĂ©barquement alliĂ©, sur les ordres du ComitĂ© de LibĂ©ration de Manosque, qui lui reproche sa collaboration Ă la revue La Gerbe. Giono est internĂ© pendant quelques mois, et il est le 9 septembre inscrit sur la liste noire du ComitĂ© National des Ăcrivains, redoutablement actif dans l'Ă©puration. En mars 1945, libĂ©rĂ©, il sĂ©journe pendant quatre mois Ă Marseille chez son ami Gaston Pelous, Ă l'extrĂ©mitĂ© du Boulevard Baille, dans l'intimitĂ© familiale qu'il a Ă©voquĂ©e dans NoĂ©. Un nouveau personnage surgit alors dans son esprit, c'est AngĂ©lo, le futur hĂ©ros de Le Hussard sur le toit, dont NoĂ© nous conte aussi la naissance. C'est donc vraisemblablement au printemps de 1945 que le romancier forme le projet d'un cycle consacrĂ© au Hussard avec l'idĂ©e, semble?t?il, de faire alterner des Ă©pisodes anciens et des Ă©pisodes modernes. Du printemps Ă l'automne 1945, il commence Le Hussard sur le toit, mais, rencontrant des difficultĂ©s, il Ă©crit brusquement, au dĂ©but de l'automne 1946, Un Roi sans divertissement commencĂ© en 1943, suivi immĂ©diatement de NoĂ©. Un Roi, c'est donc une sorte de brusque crochet Ă l'intĂ©rieur du cycle d'AngĂ©lo. Ce crochet, ? ou cette parenthĂšse ? est liĂ© Ă l'idĂ©e de la chronique, germĂ©e dĂšs 1937 mais rĂ©activĂ©e au printemps de 1946 pour des raisons matĂ©rielles. Alors que le cycle d'AngĂ©lo est fait de gros romans Ă©pais, longs Ă Ă©crire, des chroniques assez brĂšves comme Un Roi rĂ©pondraient mieux en effet Ă des nĂ©cessitĂ©s alimentaires dans la mesure oĂč Giono Ă©tait sur la liste noire, "un conte par mois pour l'AmĂ©rique permettrait de vivre en attendant". On voit ainsi se former le projet d'Ćuvres courtes, proches de la nouvelle, Ă©crites "Ă la volĂ©e", en "style rĂ©cit", conduisant "rapidement au dĂ©nouement". Un Roi sans divertissement appartient donc Ă ce genre nouveau de la chronique, dont l'ensemble est imaginĂ© comme un gigantesque opĂ©ra?bouffe formant un cycle de courts rĂ©cits oĂč alterneraient deux Ă©poques, le XIXĂšme siĂšcle et le XXĂšme siĂšcle. Voici ce que disait Giono Composer un opĂ©ra?bouffe de la façon la plus libre. Se placer Ă©galement dans le moderne de la façon suivante. Le I Ă©tant Un Roi sans divertissement, le II pourrait ĂȘtre par exemple un rĂ©cit de voyage Ă pied, en car, Ă travers la DrĂŽme, etc. [...], les pays que j'aime. Ce que j'emporte, mon carnier, pipe, livre, tabac. Mes hĂŽtels et auberges. Mes rapports avec les gens [...]. Le III pourrait ĂȘtre une trĂšs bucolique histoire d'amour avec Cadiche, la fille aĂźnĂ©e de Mme Tim [...]. De temps en temps, venir aux temps actuels ». D'un cĂŽtĂ©, une suite au drame contĂ© dans Un Roi ; de l'autre, un fantaisiste et actuel rĂ©cit de voyage mettant en scĂšne l'auteur lui?mĂȘme on songe aux Choses vues de Victor Hugo, que Giono venait de relire, et au Voyage sentimental de Sterne. Giono s'est expliquĂ© lui?mĂȘme avec une parfaite nettetĂ© sur ce qu'il appelait ses "chroniques" dans la prĂ©face de 1962 Le plan complet des chroniques romanesques Ă©tait fait en 1937. Il comprenait une vingtaine de titres dont quelques?uns Ă©taient dĂ©finitifs, comme Un Roi sans divertissement, NoĂ©, Les Ămes fortes, Les Grands chemins, Le Moulin de Pologne, L'Iris de Suse etc. [...] Toutes les histoires sont maintenant Ă©crites, certaines sont publiĂ©es, d'autres n'ont pas encore atteint le degrĂ© de maturitĂ© et de correction pour l'ĂȘtre. Il s'agissait pour moi de composer les chroniques, ou la chronique, c'est-Ă -dire tout le passĂ© d'anecdotes et de souvenirs, de ce "Sud imaginaire" dont j'avais, par mes romans prĂ©cĂ©dents, composĂ© la gĂ©ographie et les caractĂšres. Je dis bien "Sud imaginaire", et non pas Provence pure et simple. [...] J'ai créé de toutes piĂšces les pays et les personnages de mes romans. [...] J'avais donc, par un certain nombre de romans, Colline, Un de Baumugnes, Regain, Le Chant du monde, Le Grand troupeau, Batailles dans la Montagne, etc... créé un Sud imaginaire, une sorte de terre australe, et je voulais, par ces chroniques, donner Ă cette invention gĂ©ographique sa charpente de faits divers tout aussi imaginaires. Je m'Ă©tais d'ailleurs aperçu que dans ce travail d'imagination, le drame du crĂ©ateur aux prises avec le produit de sa crĂ©ation, ou cĂŽte Ă cĂŽte avec lui, avait Ă©galement un intĂ©rĂȘt qu'il fallait souligner, si je voulais donner Ă mon Ćuvre sa vĂ©ritable dimension, son authentique libertĂ© de non?engagement. C'est pourquoi j'avais placĂ© dans les premiers numĂ©ros du plan gĂ©nĂ©ral un livre comme NoĂ© oĂč l'Ă©crivain lui?mĂȘme est le hĂ©ros et, vers la fin, plusieurs petits ouvrages oĂč, au contraire, il disparaissait entiĂšrement dans la crĂ©ation livrĂ©e brute. [...] Entre ces deux extrĂȘmes le thĂšme mĂȘme de la chronique me permet d'user de toutes les formes du rĂ©cit, et mĂȘme d'en inventer de nouvelles, quand elles sont nĂ©cessaires et seulement quand elles sont exigĂ©es par le sujet.» Voir sur Amazon On peut ainsi fĂ©dĂ©rer les chroniques de Giono autour des caractĂšres suivants La chronique se distingue du roman par un style plus narratif, moins descriptif ou moins lyrique. Le personnage y devient plus important que la nature. Le temps y est dĂ©terminant. Les chroniques sont historiquement situĂ©es aux XIXĂšme et XXĂšme siĂšcles, avec des glissements d'un siĂšcle Ă l'autre. Il ne s'agit pas d'histoires ni de romans historiques, mais d'annales, rapportĂ©es selon l'ordre du temps, avec l'opacitĂ© d'une pure chronologie, et constituĂ©es de dĂ©tails de vies individuelles plus que d'un tableau d'Ă©poque. Les chroniques s'inscrivent dans un milieu, un Sud imaginaire, c'est-Ă -dire un groupe social, une rĂ©alitĂ© plus sociologique que gĂ©ographique. On a souvent tort en effet de confondre ce "Sud mental" avec la Provence Giono n'est rien moins qu'un Ă©crivain rĂ©gionaliste !. Dans Un Roi sans divertissement, les lieux sont certes parfaitement identifiables la rĂ©gion de Lalley, dans le TriĂšves, aux confins de l'IsĂšre et de la DrĂŽme, mais c'est une rĂ©gion que Giono s'est rĂ©appropriĂ©e. De ce "cloĂźtre de montagnes", il a pu dire "C'est de ce pays au fond que j'ai Ă©tĂ© fait pendant plus de 20 ans" Journal, 1946. La chronique raconte un fait divers Ă portĂ©e mĂ©taphysique ce qui est en cause ici, c'est la condition humaine. Mais qu'on n'en attende pas non plus de leçon ». L'incertitude maintenue sur les mobiles des personnages et mĂȘme sur leurs actes se contente tout au plus de poser des questions fondamentales. A la diffĂ©rence des romans, la prĂ©sence du narrateur ou du rĂ©citant peut ĂȘtre concurrencĂ©e par une succession de "tĂ©moins" auprĂšs desquels il mĂšne une sorte d'enquĂȘte. Ce n'est que par la reconstitution de ces fragments, comme dans un puzzle, que le lecteur peut prĂ©tendre apprĂ©hender les ressorts fondamentaux de l'intrigue et des personnages. II - TemporalitĂ© et narration. Le livre, Ă©crit Giono, est parti parfaitement au hasard, sans aucun personnage. Le personnage Ă©tait l'Arbre, le HĂȘtre. Le dĂ©part, brusquement, c'est la dĂ©couverte d'un crime, d'un cadavre qui se trouva dans les branches de cet arbre. Il y a eu d'abord l'Arbre, puis la victime, nous avons commencĂ© par un ĂȘtre inanimĂ©, suivi d'un cadavre, le cadavre a suscitĂ© l'assassin tout simplement, et aprĂšs, l'assassin a suscitĂ© le justicier. C'Ă©tait le roman du justicier que j'ai Ă©crit. C'Ă©tait celui-lĂ que je voulais Ă©crire, mais en partant d'un arbre qui n'avait rien Ă faire dans l'histoire. » Ăvinçant plus tard le rĂŽle de l'arbre, Giono a proposĂ© lui-mĂȘme, dans le Carnet du roman, un rĂ©sumĂ© possible de l'intrigue d'Un Roi sans divertissement Ă travers le portrait moral de Langlois, son protagoniste central C'est le drame du justicier qui porte en lui-mĂȘme les turpitudes qu'il punit chez les autres. Il se tue quand il sait qu'il est capable de s'y livrer. [...] Quelqu'un qui connaĂźtrait le besoin de cruautĂ© de tous les hommes, Ă©tant homme, et, voyant monter en lui cette cruautĂ©, se supprime pour supprimer la cruautĂ©.» RĂ©sumĂ© Dans un village du TriĂšves enfoui sous la neige, ont lieu des Ă©vĂ©nements Ă©tranges. Une jeune bergĂšre, Marie Chazottes, disparaĂźt, un homme est attaquĂ©, un porc est mutilĂ©. L'hiver suivant, Ă nouveau, un homme disparaĂźt. Arrivent alors au village six gendarmes conduits par le capitaine Langlois, chargĂ© de rĂ©soudre ces mystĂšres. Nouvelle disparition. L'hiver suivant, FrĂ©dĂ©ric II, qui possĂšde une scierie Ă l'Ă©cart du village, voit un homme descendre d'un grand hĂȘtre. Il monte dans l'arbre, dĂ©couvre les cadavres des disparus et suit l'homme jusqu'Ă Chichilianne. Il apprend son identitĂ© c'est un certain M. V. Langlois, Ă son tour, part Ă la recherche du criminel, le trouve chez lui, le tue, puis dĂ©missionne. Quelques mois plus tard, Langlois revient au village, comme commandant de louveterie. Il s'installe chez Saucisse, une "vieille lorette de Grenoble", qui tient le CafĂ© de la Route. Il frĂ©quente le monde de la contrĂ©e la crĂ©ole Mme Tim, le procureur royal de Saint-Baudille, se marie, s'ennuie. Lorsqu'un loup ravage le pays, Langlois le traque et le tue dans une cĂ©rĂ©monieuse battue. DĂšs lors, il comprend que le seul divertissement qui vaille est le meurtre. Il se suicide en fumant un bĂąton de dynamite pour que la fascination du sang ne fasse pas de lui, Ă son tour, un assassin. Cette fiction Ă©talĂ©e sur quatre annĂ©es nous est contĂ©e dans un systĂšme narratif relativement complexe qui consiste en un va-et-vient du temps de l'Ă©criture 1946 au temps de la fiction 1843-1848, en passant par les relais narratifs fournis par des tĂ©moins ultĂ©rieurs 1868, 1916. Le champ temporel couvert par la fiction se situe ainsi au XIXĂšme siĂšcle, alors que celui de la narration se poursuit jusqu'Ă l'Ă©poque moderne, ce que Giono appelle le "temps prĂ©sent". Au dĂ©but de NoĂ©, il Ă©voque ce moment oĂč, Un Roi terminĂ©, le romancier est comme happĂ© par la vie de ses personnages dans un mĂ©lange temporel qui est bien celui du roman Ce pays oĂč je viens de vivre sous la neige de 1843 Ă presque 1920, puisque c'est en 1920 que j'ai imaginĂ© qu'on m'a racontĂ© l'histoire ». Il est facile de repĂ©rer les diffĂ©rents mouvements par lesquels le narrateur passe des Ă©vĂ©nements de 1843 une sĂ©rie de disparitions mystĂ©rieuses dans un village de montagne aux annĂ©es du temps prĂ©sent, oĂč il connaĂźt les descendants de ceux qui ont, soixante-quinze ans auparavant, jouĂ© un rĂŽle dans l'histoire. La numĂ©rotation des FrĂ©dĂ©ric I, II, III, IV est l'expression cocasse de cette circulation Ă travers les Ă©poques. Un descendant supposĂ© de lit GĂ©rard de Nerval pendant les vacances. Ici, une allusion au buste de Louis-Philippe, lĂ une Ă©vocation de l'huile pour autos Texaco. Quand j'interrogeais Giono, dit Robert Ricatte, sur les raisons qui l'avaient incitĂ© Ă manipuler curieusement dans les chroniques le cours du temps, il invoquait son bon plaisir "Je me suis aperçu que c'Ă©tait une technique amusante et qui m'offrait des facilitĂ©s. Jusqu'ici, j'avais Ă©crit des histoires qui commençaient au dĂ©but, qui se suivaient. J'en avais assez. Ăa m'a sĂ©duit de mĂ©langer les moments. J'ai voulu ajouter un piment, m'amuser."» Cet amusement a consistĂ© Ă multiplier, du mĂȘme coup, les instances de la narration. Et en effet, le narrateur, maĂźtre du jeu temporel, glisse, avec des effets plus ou moins cocasses, d'une Ă©poque Ă l'autre parfois, il renonce Ă occuper une position en surplomb, il disparaĂźt, par exemple, pour laisser la place aux perceptions, Ă l'angoisse, Ă l'attente des villageois pendant l'hiver 1843. Le jeu des pronoms est intĂ©ressant Ă Ă©tudier, car il correspond Ă un changement d'instance temporelle en mĂȘme temps qu'Ă un changement de point de vue. Car, dĂšs qu'on Ă©voque les divers niveaux temporels, on est renvoyĂ© Ă la question qui parle ? C'est-Ă -dire Ă la dĂ©signation du ou des locuteurs. Les caractĂšres de la narration interfĂšrent avec ces couches temporelles diversifiĂ©es A cet ordre de la fiction, schĂ©matisĂ© ci-dessus, l'Ă©crivain prĂ©fĂšre une tout autre organisation qui coĂŻncide avec l'entrĂ©e en scĂšne de plusieurs voix narratives LES POINTS DE VUE les numĂ©ros de pages renvoient toujours Ă l'Ă©dition Folio, Gallimard. pages pronoms Ă©poque de la narration Ă©poque de la fiction commentaires Ă 51 Je = le narrateur. 1946 1843 Jusqu'ici cette alternance nous fait partager les angoisses d'une famille du village et le point de vue supĂ©rieur d'un narrateur qui prĂ©pare ses thĂšmes. On, Nous = collectivitĂ© villageoise. 1843 1843 pp. 64 Ă 80 pas de narrateur apparent. p. 80 Je = FrĂ©dĂ©ric. 1845 1845 Au cours de la poursuite de les parenthĂšses nous font pĂ©nĂ©trer dans la pensĂ©e de FrĂ©dĂ©ric. p. 86 p. 127 Nous, On = des vieillards Je = l'un d'eux. 1916 1846 Entre le Narrateur et l'histoire, s'installent des relais ainsi ces vieillards qui, "Ă une certaine Ă©poque", "il y a plus de trente ans", lui ont parlĂ© de Langlois. pp. 152 Ă 160 Je = Saucisse. 1868 1847 Saucisse parle plus de vingt ans aprĂšs les faits elle s'adresse Ă ceux de son village, qui ont conservĂ© une vive curiositĂ© Ă l'Ă©gard des Ă©vĂ©nements passĂ©s. p. 240 Je = Anselmie. 1868 1847 RapportĂ© par Saucisse, le rĂ©cit d'Anselmie nous fait voir, par son regard bornĂ©, l'Ă©pisode pourtant essentiel de la dĂ©capitation de l'oie. p. 243 Je = le narrateur. 1946 1848 Pour le rĂ©cit rapide du suicide de Langlois, on retrouve le narrateur, capable d'en interprĂ©ter le sens symbolique. III- Un rĂ©cit lacunaire. C'est sans doute une des caractĂ©ristiques du roman moderne, par rapport au roman qu'on appelle classique ou traditionnel, que d'ĂȘtre un rĂ©cit lacunaire, c'est-Ă -dire un texte qui ne livre pas d'emblĂ©e tous les tenants et aboutissants de l'intrigue, et qui, au fond, laisse le lecteur sur sa faim, ne lui disant pas tout ce qu'il aimerait savoir et lui laissant le soin d'interprĂ©ter, d'Ă©mettre des hypothĂšses, de se poser des questions. Encore faudrait?il se garder de l'idĂ©e simpliste que tout roman classique est d'une clartĂ© parfaite, que les comportements des protagonistes y sont constamment mis en pleine lumiĂšre, qu'aucun des Ă©lĂ©ments de l'histoire racontĂ©e ne demeure dans une zone d'ombre. Il y a bien de "silences du rĂ©cit" l'expression est de Marcel Schwob Ă propos de Stevenson dans les grands romans du XIXĂšme siĂšcle. Mais c'est un fait que sous l'influence de beaucoup de romanciers Ă©trangers DostoĂŻevski, Stevenson, Conrad, Henry James le roman français a Ă©tĂ© progressivement conduit AndrĂ© Gide, avec Les Faux-Monnayeurs, a Ă©tĂ© un relais important Ă faire une part de plus en plus belle aux silences du rĂ©cit. Tel roman de Bernanos, Monsieur Ouine, est un exemple de roman lacunaire. Beaucoup de "nouveaux romans" pourraient ĂȘtre rangĂ©s sous cette rubrique. Chez Giono, une chronique comme Les Ămes fortes se prĂ©sente comme une sĂ©rie de tĂ©moignages contradictoires sur un passĂ© lointain ; chacune des protagonistes voit ce passĂ© selon son optique prĂ©sente, les mots profĂ©rĂ©s servant autant Ă le recrĂ©er selon la pente du dĂ©sir ou de la rĂȘverie qu'Ă ĂȘtre le compte rendu scrupuleux de ce qui a Ă©tĂ©. Une phrase d'Un Roi sans divertissement semble rĂ©sumer toute l'esthĂ©tique de Giono "On ne voit jamais les choses en plein". L'observateur, aussi bien, n'est pas toujours situĂ© Ă la meilleure place il arrive mĂȘme, Ă plusieurs reprises, qu'il soit hors du lieu oĂč se passe une scĂšne essentielle. D'oĂč tout un art du silence, de l'allusion, de la discrĂ©tion, qui vise Ă mĂ©nager des ombres, Ă respecter des secrets. Mais il faut se garder d'un jugement simpliste, car, dans ce domaine du rĂ©cit lacunaire, il existe bien des degrĂ©s, et l'on est est loin avec Un Roi de ces puzzles auxquels nous ont habituĂ©s certains romans rĂ©cents. D'autant que, d'un autre cĂŽtĂ©, Un Roi sans divertissement se prĂ©sente un peu comme un apologue, une illustration saisissante d'une observation de moraliste, Ă savoir la phrase de Pascal citĂ©e Ă la fin du roman "Un roi sans divertissement est un homme plein de misĂšres". Cette maxime, au moins a posteriori, inonde de lumiĂšre tout le rĂ©cit. Le prix d'Un Roi, ce qui en fait sans doute un chef-d'Ćuvre, c'est justement l'effort du romancier pour voiler cette lumiĂšre, mĂ©nager des zones d'ombre. La manĆuvre n'est Ă©videmment jamais d'ordre simplement esthĂ©tique l'Ă©clatement des points de vue dans le roman, et les incertitudes qu'ils crĂ©ent sur ce qui est vraiment su et dit, ressortissent Ă une conviction morale. Les lacunes du rĂ©cit nous invitent en effet Ă la plus extrĂȘme prudence quant aux jugements que nous pourrions hĂątivement porter sur les personnages, et nous convainquent que, dans ce domaine, tout est bien affaire de point de vue. IV- Une fable mĂ©taphysique ? Ce qui frappe le lecteur d'Un Roi, c'est d'abord la verve du conteur, la libertĂ© d'allure, le ton parlĂ©, le caractĂšre parfois familier, toujours savoureux d'un parler pittoresque pour raconter des choses cocasses. Par exemple, le portrait de Martoune "Suivre Martoune n'est pas de la petite biĂšre !" etc... On peut citer aussi l'Ă©vocation de Mme Tim, mĂšre et grand?mĂšre, saisissant "au hasard un de ses petits-enfants qu'elle se mettait Ă pitrogner..." Il faut se rappeler ici la conception que Giono a de la chronique comme opĂ©ra?bouffe. Beaucoup dâexemples nous sont ainsi offerts, et beaucoup de nuances, dans la goguenardise, la dĂ©sinvolture, la cocasserie le portrait d' Anselmie, les circonstances mĂȘmes de la disparition de son mari, le portrait de Delphine, la corpulence de Saucisse et le cheval de Langlois, "cheval noir et qui savait rire", etc. Cette cocasserie du langage jure avec l'atmosphĂšre pesante et mĂȘme tragique du roman soucieux de dĂ©sarçonner son lecteur, Giono organise volontiers des contrastes, tel ce hĂȘtre somptueux qui contient les ossements des cadavres, et mĂȘme un cadavre frais le vĂ©gĂ©tal et les ossements !. HĂȘtre monstrueux par sa beautĂ© et par ce qu'il porte de façon incongrue, cet "Apollon citharĂšde" des hĂȘtres, c'est l'arbre aux oiseaux et aux cadavres. Autre thĂšme contrastĂ© est le motif du sang vermeil sur la neige. Le goĂ»t de la cruautĂ© - et d'une cruautĂ© assez monstrueuse - est ancien chez Giono, mais il a pris chez lui de plus en plus d'importance. Le thĂšme du sang sur la neige apparaĂźt en tout cas dans le roman Ă plusieurs reprises, sans doute trouvĂ©, comme le suggĂšre Luce Ricatte, dans l'Ă©pisode de l'oie blessĂ©e du Perceval de ChrĂ©tien de Troyes L'oie Ă©tait blessĂ©e au col. Elle saigna trois gouttes de sang, qui se rĂ©pandirent sur le blanc. On eĂ»t dit une couleur naturelle. L'oie n'avait tant de douleur ni de mal qu'il lui fallĂ»t rester Ă terre. Le temps qu'il y soit parvenu, elle s'Ă©tait dĂ©jĂ envolĂ©e. Quand Perceval vit la neige qui Ă©tait foulĂ©e, lĂ ou s'Ă©tait couchĂ©e l'oie, et le sang qui apparaissait autour, il s'appuya sur sa lance pour regarder cette ressemblance. Car le sang et la neige ensemble sont Ă la ressemblance de la couleur fraĂźche qui est au visage de son amie. Tout Ă cette pensĂ©e, il s'en oublie lui-mĂȘme. Pareille Ă©tait sur son visage cette goutte de vermeil, disposĂ©e sur le blanc, Ă ce qu'Ă©taient ces trois gouttes de sang, apparues sur la neige blanche.» Le Conte du Graal ou Le Roman de Perceval. On peut en relever les occurrences, et apprĂ©cier le jeu des contrastes contrastes du blanc et du rouge, du tiĂšde et du froid, de la pulsation et de l'immobilitĂ©, de la vie et de la mort. En mĂȘme temps, se dĂ©ploie une intensitĂ© croissante dans la fascination de Langlois, qui est Ă son comble quand il regarde un long moment, Ă la fin du roman, le sang de lâoie sur la neige. Deux autres thĂšmes essentiels parcourent Un Roi, celui de la fĂȘte, et, trĂšs liĂ© Ă ce thĂšme, celui de la parure, des objets et des vĂȘtements de cĂ©rĂ©monie. LĂ encore, c'est sur le mode de la contemplation fascinĂ©e qu'apparaĂźt l'Ă©clat des lumiĂšres, ou la beautĂ© des verres, des cristaux, des porcelaines sur la table dressĂ©e chez Mme Tim. Au cours de la messe de minuit, Langlois avoue avoir Ă©tĂ© "fortement impressionnĂ©" par les candĂ©labres dorĂ©s, et par les belles chasubles. Voyez comme il Ă©voque l'ostensoir, "cette chose ronde avec des rayons semblables au soleil". Mais Ă la fĂȘte spontanĂ©e, exercice de libertĂ© et d'improvisation, Langlois prĂ©fĂšre la cĂ©rĂ©monie soigneusement organisĂ©e. Ainsi, militaire et monacal, il rĂšgle de main de maĂźtre la battue au loup. Ce qui donne Ă la fĂȘte son caractĂšre, outre le cĂ©rĂ©monial, c'est qu'elle rompt la chaĂźne des habitudes. Le dimanche de la battue est un "dimanche insolite". La fĂȘte, solennelle et cĂ©rĂ©monieuse, c'est le divertissement elle est lumiĂšre et exaltation sur fond de noir, de nĂ©ant, de disparition prochaine. Le contraire de la fĂȘte, l'enfer de l'absence de fĂȘte, c'est sans doute, en contrepoint, l'Ă©pisode de la visite Ă Mme V. Cette veuve aux yeux rougis est une figure de dĂ©sespoir, et la brusque intrusion de Langlois dans une quotidiennetĂ© sans joie le situe peut?ĂȘtre Ă la source mĂȘme de ce qui a Ă©tĂ© chez besoin Ă tout prix de divertissement, le divertissement suprĂȘme Ă©tant le meurtre. Car le thĂšme central du roman est, bien sĂ»r, l'ennui, cet ennui que Langlois cherche secrĂštement Ă conjurer par une surenchĂšre de fĂȘtes et de cĂ©rĂ©monies. Pour peindre cette vacuitĂ©, le narrateur Ă©voque aussi bien le silence engourdi des campagnes pp. 15-16 que les rituels par lesquels le hĂ©ros prĂ©tend y Ă©chapper chasse au loup, repas chez Mme Tim, messe de minuit rĂ©duite Ă son esthĂ©tique... Le lecteur ne dispose que de quelques notations brĂšves pour mesurer le sens de cette agitation et aussi son Ă©chec "L'homme dit que la vie est extrĂȘmement courte." p. 223. Par lĂ , le roman touche Ă la mĂ©taphysique. Loin de proposer Ă l'ennui qui ronge l'humanitĂ© la solution pascalienne, qui ne saurait rĂ©sider que dans la foi, Giono se limite Ă l'Ă©vocation d'une recherche jamais assouvie de tout ce qui peut le conjurer, fĂ»t-ce le meurtre. Mais on ne peut parler ici d'une vision tragique de l'existence car, dans Un Roi, outre une illustration mĂ©taphorique de la condition humaine, on retiendra surtout le mĂ©lange d'amusement et de monstruositĂ©. Giono Ă©crivait le 12 avril 1946, probablement Ă propos du Hussard sur le toit "Je manque totalement d'esprit critique. Mes compositions sont monstrueuses et c'est le monstrueux qui m'attire. Pourquoi ne pas lĂącher la bride et faire de nĂ©cessitĂ© vertu ?". Se divertir avec du monstrueux ? Une certaine provocation n'est pas absente de cette intention, d'autant que le narrateur d'Un Roi nous invite souvent Ă considĂ©rer que et Langlois sont "des hommes comme les autres". Simplement, nous ne disposons pas du mĂȘme systĂšme de mesures pour en juger. De ces deux personnages, il importe en tout cas de souligner le naturel, ce goĂ»t pour les "choses non geignardes", comme Giono le note dans NoĂ©, qui nous empĂȘche de parler de registre tragique, encore moins de pathĂ©tique "Les hommes comme Langlois n'ont pas la terreur d'ĂȘtre solitaires. Ils ont ce que j'appelle un grand naturel. Il n'est pas question pour eux de savoir s'ils aiment ou s'ils ne peuvent pas supporter la solitude, la solitude est dans leur sang, comme dans le sang de tout le monde, mais eux n'en font pas un plat Ă dĂ©guster avec le voisin" NoĂ©.
un roi sans divertissement est un homme plein de misĂšres